Pac 2014-2020 S'adapter aux marchés
Les mécanismes européens de gestion des marchés sont réduits à des outils de crise, obligeant les agriculteurs à s'organiser.
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Les mécanismes de gestion des marchés, autrement dit l'OCM (1) unique, constituent le volet de la réforme de la Pac dont on parle le moins. Un peu comme si on avait fait une croix dessus depuis longtemps...
Or, pour la première fois depuis 1992, la Commission européenne se préoccupe de maintenir les outils ayant survécu à des années de dérégulation. Elle a retourné sa veste après la crise alimentaire mondiale de 2007-2008.
« Au début de mon mandat, j'avais l'impression que les agriculteurs européens voulaient davantage de régulation. En fait, ils réclament des filets de sécurité », justifie Dacian Ciolos, le commissaire à l'Agriculture.
Pour l'essentiel, les dispositifs actuels sont donc reconduits et se limitent à des outils de gestion de crise. Les modalités d'application sont revues à la marge et concernent dorénavant presque tous les secteurs.
« Le champ des crises s'est élargi. Il s'exprime différemment sur les marchés », souligne Elisabetta Siracusa, chef d'unité aux affaires concernant l'OCM unique à la DG Agri (2). L'objectif est de pouvoir réagir plus vite et plus efficacement qu'aujourd'hui. Mais il est difficile de juger sur pièce l'efficacité des nouvelles modalités de mise en oeuvre de ces outils, d'autant que Bruxelles ne précise pas les critères et les seuils de crise.
« Une crise ne peut pas être définie à l'avance », justifie la fonctionnaire. Ce sera l'un des principaux points d'achoppement entre les trois institutions décisionnaires sur la réforme de la Pac (Commission, Parlement et Conseil) pour les négociations tripartites qui vont se dérouler jusqu'à la fin de juin (s'il n'y a pas de retard de calendrier).
Un Parlement offensif
Le dossier a déjà enflammé le débat au Parlement européen et divisé l'Europe en deux camps lors du vote final en séance plénière, le 13 mars 2013. D'un côté, les pays du Nord, pour qui le marché doit tout régler. De l'autre, les pays du Sud, qui comptent sur les organisations de producteurs et une modification du droit de la concurrence pour redonner du poids aux agriculteurs face à l'aval.
C'est la position de ces derniers qui l'a emportée, soutenue par Michel Dantin, député européen UMP-PPE (3), rapporteur pour l'OCM unique. Au Conseil (représentant les Etats), la majorité est inversée car il y a plus de petits pays du nord de l'Europe. Ils ne veulent ni de l'intervention publique ni du stockage privé, agitant le spectre d'une intervention plus utile à leurs concurrents qu'à eux-mêmes.
L'Allemagne est en chef de file sur cette question.Un autre point, plus technique, pourrait bloquer les négociations tripartites : l'application de l'article 43-3 du traité de Lisbonne qui exclut le Parlement des décisions relatives « à la fixation des prix, des prélèvements, des aides et des limitations quantitatives ».
Ecarter les eurodéputés de la codécision concernant les mécanismes de marché, c'est aussi parfois se priver d'idées nouvelles. Michel Dantin est par exemple le seul à avoir proposé un dispositif pour gérer l'après-quotas laitiers, entériné en assemblée plénière.
Le défi de l'élevage
Il reste aux agriculteurs à s'adapter aux marchés. Pour y parvenir, la Commission ne voit qu'une solution : améliorer les capacités de négociation des producteurs. Et un seul moyen : l'organisation.
« Les organisations de producteurs (OP) et leurs associations (AOP) peuvent être très efficaces dans la répartition de la valeur ajoutée sur la chaîne alimentaire », martèle Elisabetta Siracusa. Une récente étude de la Commission montre que le secteur de la production a beaucoup à faire.
En 2005, sur un chiffre d'affaires pour la filière agroalimentaire européenne de 475 milliards d'euros, 31 % revenaient à la production. En 2008, sur 531 milliards d'euros, c'était seulement 24 %.
Pour Michel Dantin, aucun budget Pac ne compensera cette perte, d'autant que l'enveloppe dévolue à l'OCM unique est prévue en baisse de 40 % pour 2014-2020.
La balle est dans le camp des agriculteurs. « Le secteur des céréales est bien organisé. Il n'a pas besoin d'être renforcé. La filière, comme celle des oléoprotéagineux, va déjà loin dans la conservation de la valeur ajoutée », estime l'eurodéputé. Les céréaliers attendent néanmoins du travail du commissaire européen en charge des marchés sur la volatilité des prix des matières premières.
Michel Barnier promet transparence et règles pour limiter la spéculation financière. L'effort d'organisation va surtout concerner les filières animales. L'appropriation des outils (OP, AOP, interpro) devrait être évidente dans l'Hexagone puisque c'est la France qui les a demandés. Pourtant, sur le terrain, la mise en oeuvre patine. Question de mentalité ?
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(1) Organisation commune des marchés. (2) Direction générale de l'agriculture et du développement rural de la Commission européenne. (3) Parti populaire européen.
Régulation : la réforme en bref
• Intervention publique. La liste des produits éligibles est reconduite, sauf pour le blé dur, le sorgho et le sucre. Les conditions d'intervention, les volumes et les prix d'intervention sont globalement inchangés. Cependant, la Commission propose :
- pour les produits laitiers, que l'intervention se déclenche dès que le prix de marché est inférieur au prix de référence (sans limite de quantité) ;
- pour la viande bovine, de fixer le prix d'achat à l'intervention par adjudication sans pouvoir excéder le prix moyen de marché constaté.
• Stockage privé. Deux nouveaux produits seraient éligibles : les fibres de lin et le lait écrémé en poudre. En fonction des prix de marchés et des prix de référence constatés, une aide sera octroyée pour réagir « à une situation particulièrement difficile » ou « à des évolutions économiques particulièrement difficiles ».
• Quotas. Suppression des droits de plantations viticoles (2018), des quotas sur le sucre (2017) et lait (2015). Les dispositions du « paquet lait » intègrent le règlement sur l'OCM unique.
• Mesures exceptionnelles
- Les mesures prévues « contre les perturbations du marché » (suspendre des droits à l'importation...) sont étendues à tous les secteurs (sauf la pomme de terre). Elles sont déclenchées en cas de menaces de perturbations causées par des hausses ou des baisses significatives de prix sur les marchés intérieurs ou extérieurs ou par « tout autre facteur touchant au marché ».
- Les mesures prévues « en cas de graves perturbations liées à la perte de confiance des consommateurs » sont étendues à tous les secteurs (sauf la pomme de terre).
- Les mesures prévues « en cas de maladie animale » et « en cas d'urgence » sont reconduites.
• Programmes spécifiques. Les programmes spécifiques au secteur viticole (restructuration, promotion...) et aux fruits et légumes (soutien aux OP, programme en faveur de la consommation dans les écoles...) sont globalement reconduits.
• Organisation de producteurs. A l'instar de la filière des fruits et légumes, les Etats membres doivent reconnaître les organisations de producteurs, leurs associations et les interprofessions quel que soit le secteur. Leurs pouvoirs sont renforcés.
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(1) Les éléments ci-dessus relatent la proposition initiale de la Commission, entérinée sans modification majeure par le Conseil.
Organiser les producteurs
Le nord et le sud de l'Union européenne ne s'opposent pas seulement au sujet des outils de gestion des marchés. Les organisations de producteurs (OP), les interprofessions et la contractualisation divisent aussi l'Europe en deux.
« L'Irlande craint les OP de peur qu'elles ne lui ferment les marchés et empêchent la libre concurrence de s'exprimer », décrit Michel Dantin, en regrettant que le Conseil ait repris « le texte très incomplet de la Commission ».
Mais pour le député européen, le doute n'est pas permis. « Il faut inciter les filières à se prendre en charge et les producteurs à s'organiser pour faire le poids » face à leur aval.
A ceux qui lui opposent l'amont très organisé de la filière porcine française qui n'arrive pas à répercuter ses augmentations de charges, l'eurodéputé répond qu'il y a encore trop de groupements.
Et que les 6 millions de porcs abattus par le premier d'entre eux font pâle figure face aux géants européens du secteur. Mais les autorités françaises le laisserait-elle prendre davantage de poids ?
Quand le groupe Bigard a racheté Socopa, les services de l'Etat chargés de s'assurer qu'il n'aurait pas une position dominante sur le marché n'ont raisonné qu'à l'échelle de l'Hexagone. Ils n'ont pas regardé ce qui existe de l'autre côté du Rhin.
Ce manque de cohérence dans l'interprétation des textes sur le droit de la concurrence, Michel Dantin le dénonce. « Il faut des règles claires au moment où les producteurs s'organisent, insiste-t-il. Nous avons besoin d'une interprétation cohérente des textes [entre les Etats membres, NDLR]. »
Voilà un travail pour la Commission. En termes de concurrence et d'OP, le Parlement a proposé de sanctionner l'abus de position dominante. Autrement dit, une OP ne peut pas être plus grosse que le plus gros de ses clients.
Il reste à voir jusqu'à quel niveau les éleveurs laitiers accepteront de s'organiser. Difficile d'imaginer qu'ils acceptent de mutualiser leur prix du lait, ne fut-ce qu'au niveau d'un grand groupe industriel.
« Les OP doivent avoir un ancrage territorial car la valorisation du lait varie davantage en fonction de la région que des groupes industriels, plaide Michel Dantin. Il n'est pas normal d'avoir une seule association d'OP face à Lactalis, qui négocie le prix du lait pour toute l'entreprise alors que le prix n'est pas le même partout. En clair, je ne veux pas que le prix du lait en Vendée soit imposé au Reblochon de Savoie. »
(Eric Roussel)
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